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Du côté de ma Drôme

Pierre Rabhi, paysan philosophe

Vendredi 14 octobre, Pierre Rabhi était l'invité de l'association CastelBio, basée à Châteauneuf-du-Rhône. Un événement pour cette toute jeune association, organisatrice également du salon de l'alimentation bio, dont la deuxième édition avait lieu le week-end suivant. 

Retour sur cette soirée en images et en paroles, celles à la fois si belles, si simples et si évidentes de Pierre Rabhi, paysan philosophe, pionnier de l'agroécologie, fondateur de l'association "Terre et Humanisme" et du mouvement "Colibris", et dont le dernier livre "La convergence des consciences" vient de paraître aux éditions Broché. 

(Photos Patrick Gardin)

Pierre Rabhi, paysan philosophe
Pierre Rabhi, paysan philosophe
Pierre Rabhi, paysan philosophe
Pierre Rabhi, paysan philosophe
Pierre Rabhi, paysan philosophe
Pierre Rabhi, paysan philosophe

Une salle des fêtes pleine, et des centaines de personnes qui applaudissent longuement, debout, à l'issue de la conférence. Dans le silence. Dans le respect.

Ce soir-là, à l'invitation de l'association CastelBio, Pierre Rabhi vient de poser son micro, après presque une heure et demi de conférence sur le thème de "L'agroécologie, une éthique de vie". 

Ce soir-là, le paysan-philosophe est revenu sur son histoire, son parcours, qui l'a mené de l'Algérie vers la France, et plus particulièrement vers l'Ardèche, où il a choisi de vivre. "Je vais essayer de partager avec vous mes propres interrogations" a expliqué celui qui, comme il le rappelle, n'a pas fait "d'études brillantes" mais "a dévoré beaucoup de philosophes dont Socrate qui m'a le plus fasciné". Et qu'il reprend pour se définir : "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien".

Avec humour, il a évoqué son passage professionnel dans une banque. "Moi employé de banque!", dit-il tout en poursuivant : "Cela m'a permis de comprendre que c'est l'argent qui détruit plus l'histoire que n'importe quoi d'autre. L'argent a fait que des gens qui en possédaient se sont accaparés les biens dont l'humanité tout entière avait besoin. L'être humain a alors considéré qu'il avait un pouvoir absolu sur la planète. 1/5ème de l'humanité possède les 4/5ème de la planète!".

Lui et son épouse Michèle ont alors décidé de sortir de ce système et "de revenir à la Terre". C'était en 1961, sur un terrain aride d'Ardèche qu'ils avaient choisi "parce qu'il était beau". Et qu'ils ont bien eu du mal à acquérir, aucune banque ne souhaitant leur prêter l'argent. "On ne va tout de même pas vous envoyer au suicide!" leur avait-on alors répondu dans leur établissement bancaire... 

Un "suicide" qui a pourtant ramené la vie sur cette terre, "qui était dure et difficile, mais qui s'est peu à peu ouverte à nous et nous a permis de procéder à sa régénérescence". Comment? En revenant à une agriculture saine, celle-là même qui remet le paysan dans son rôle initial, "quelqu'un qui entretient la terre et non qui la détériore". Ainsi a commencé une longue croisade, qui a mené Pierre Rabhi jusqu'au Sahel ou encore au Burkina Faso, pour enseigner ses techniques d'agriculture. Et qui, de nombreux ouvrages plus tard, font de lui aujourd'hui le pionnier de ce qu'il a nommé l'agroécologie. Cette agriculture respectueuse de la Terre et de l'humain. Cette agriculture qui permettrait de nourrir l'Humanité.

"Le patrimoine mondial de l'Humanité qu'on appelle la Terre est en grand danger" a prévenu à nouveau Pierre Rabhi. "Cela devrait pourtant être considéré comme le trésor qu'il faut préserver". Et d'évoquer ensuite le "patrimoine semencier", également en train de disparaitre, Monsanto et les OGM. "Toutes ces manipulations sont des délits extrêmement graves, je dirais même criminels". 

Face à ces mêmes noms qu'il décrit également comme étant "une immense imposture", l'agroécologie se veut donc avant tout une éthique de vie. "L'écologie ne doit pas être un système, mais une conscience".

Et même si Pierre Rabhi avoue être parfois découragé par ces "problèmes de stars qui font le buzz contrairement aux problématiques fortes", s'il prévient avec humour qu'avant de se mettre à table, il vaut mieux aujourd'hui se souhaiter "bonne chance" que "bon appétit", il continue d'agir en fonction de ce qu'il nomme sa vocation, "essayer de supprimer ce qui divise pour arriver à ce qui unifie". Il continue de prôner cette "sobriété heureuse" et d'encourager cette part du colibri que chaque être humain peut accomplir dans son quotidien pour le bien-être de la planète et de l'humanité.

Ce soir-là, ils sont nombreux à attendre après la conférence pour une dédicace, une poignée de main, un mot sur un carnet, une photo, un sourire avec Pierre Rabhi.

Ce soir-là moi, j'ai la chance, le privilège, de pouvoir m'entretenir avec lui, en même temps que Radio M, la radio locale de Montélimar. Une interview commune, et un même moment d'émotion partagé. Et aussi, il faut bien l'avouer, un peu, beaucoup même, d'intimidation au départ. Et au final, face à la simplicité et l'humilité de Pierre Rabhi, juste une envie de poser mon stylo, et d'écouter encore et toujours ce grand monsieur.

Voici quand même ci-dessous quelques extraits de notre conversation, partagée juste avant la conférence.

G.V.

Pierre Rabhi, paysan philosophe

Sur l'éducation des enfants : 

Pierre Rabhi : "Pourquoi éduquer les enfants dans la compétitivité ? Pourquoi ne pas les éduquer dans la solidarité ? En une génération, on pourrait aboutir à des adultes qui sont dans une autre posture que la posture de « je suis le premier, je dois dominer ». (…) L’école est une manufacture dans laquelle on fabrique des enfants adaptés à une logique, mais on ne prend pas en compte leur âme, leur ressenti, leur sensibilité et c’est la standardisation. Les enfants n’ont pas tous les mêmes compétences. Moi j’avais beaucoup de mal à l’école parce que ce qu’on m’apprenait ne m’intéressait pas tellement. On m’apprenait beaucoup de choses mais je n’ai pas senti que l’on s’occupait vraiment de moi, de moi en tant qu’enfant, dans mon âme, dans mon esprit, dans ma conscience. On était en train de me standardiser. Et la standardisation a commencé en Europe. L’Europe, c’était une mosaïque de cultures, ça n’était pas une seule culture. Les voyageurs du 16ème ou du 17ème siècle racontaient qu’on passait en Europe pratiquement d’une tribu à une autre, il y avait même des patois, il y avait cette diversité extraordinaire où l’imaginaire faisait que les gens construisaient leurs maisons d’une certaine façon, se nourrissaient d’une certaine façon, s’habillaient d’une certaine façon, avaient leurs coutumes. Tout cela était une Europe diversifiée. Et bien le système a tout nivelé et a nié la diversité pour installer la monoculture. Il s’est créé des académies qui veillent sur le dogme et si vous n’êtes pas conforme aux dogmes qu’ils ont établi, et bien vous êtes exclus."

Pierre Rabhi, paysan philosophe

Sur son implication dans les présidentielles de 2017 : 

Pierre Rabhi : "Je me suis présenté en 2002 aux élections présidentielles poussé par les autres, moi je n'avais aucune ambition politique. (...) Il a fallu aller chercher les signatures et on a atteint presque 200 signatures d'élus. On s'est dit qu'on n'était pas tant à côté de la plaque que ça, si des élus responsables croyaient à ce que nous disions! A partir de là, cela nous a convaincu qu'il y a beaucoup de consciences qui sont en fait dans cette attente, dans cette inspiration. Aujourd'hui, on me dit "présente-toi en 2017, tu as une réputation, tu es connu etc. etc.". Bon d'accord, je me présente. J'ai mes 500 signatures. Et après, je fais quoi avec? Je n'ai pas envie de m'affilier ni à gauche ni à droite, il y a longtemps que je ne crois plus et encore moins à ce que je vous laisse deviner, donc je ferai quoi? Je me suis dit alors qu'il valait mieux aujourd'hui faire un forum civique qui permettrait aux citoyens d'exalter et de mettre en évidence le fait que la société civile a vraiment beaucoup de travail. Parce qu'il y a des alternatives multiples de gens qui tentent des choses magnifiques, mais qui restent malheureusement soient inconnues, soient dispersées, et ne représentent pas une force. Donc mon idée, avec le forum civique, est de rassembler toutes ces énergies, leur donner une visibilité, et deux mois ou trois mois avant les élections, de publier une espèce de catalogue qui rassemblerait toutes ces alternatives pour dire "Vous voyez, il y a quand même de l'espoir!". Moi ce qui me donne l’espoir, c’est la société civile, pas les politiques."

Pierre Rabhi, paysan philosophe

Sur la sobriété heureuse :

Pierre Rabhi : "J’ai proposé la sobriété heureuse en place de la croissance économique en laquelle je ne crois absolument pas. Et mon livre « La sobriété heureuse », mon éditeur l’a classé parmi ce qu’on appelle les essais, c’est à dire 3000 à 4000 exemplaires maximum. J’en suis à plus de 300 000. Cela veut dire quoi ? Ce n’est pas « Bravo Pierre Rabhi », je ne cherche pas à ce qu’on me fasse une statue. C’est simplement révélateur qu’aujourd’hui, beaucoup de gens sont dans une espèce d’attente, d’autant plus que le contexte est très difficile. Le chômage on ne va pas l’arrêter. Quelque soit le discours des politiques, on n’arrêtera pas le chômage parce que c’est quelque chose qui est déterminé par l’organisation mondiale. On a voulu la mondialisation, et bien on l’a ! (...) Et le système produit des choses à vendre en même temps qu’il produit des gens qui ne peuvent pas acheter. Il y a donc une contradiction et cela peut amener une rupture forte et de la violence. Quand les gens sont dans l’angoisse de comment ils vont vivre etc., cela peut entrainer des violences même assez importantes. C’est pour cela que le forum civique va permettre de dire que nous ne sommes pas dans l’impasse et que nous ne sommes pas sans espérance. Aujourd’hui dans le monde, il y a des potentialités très importantes d’une mutation positive, mais il y a aussi le danger du précipice irréversible. Et il faut éviter d’être dans cette irréversibilité. Et cela ne peut pas se faire si on ne change pas le comportement boulimique que nous avons. C’est pour cela que je propose la sobriété. Le temps de la simplicité et de la sobriété est venu et on ne pourra pas contourner cela."

Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que l'agroécologie, qui relocalise la production alimentaire, à petite échelle, applicable dans n'importe quelles conditions climatiques, est la meilleure et la seule approche capable de nourrir l'ensemble de l'humanité tout en préservant la terre arable et les ressources que la vie a inventé pour la vie. Le manque de nourriture est bien souvent lié à la dépendance des populations vis-à-vis des filières d'approvisionnement dont elles sont dépossédées. Toute espèce vivante sait subvenir à ses besoins vitaux dans un écosystème naturel où elle a sa place dans la chaîne alimentaire. Pourquoi en serait-il autrement pour l'humain? Depuis ses origines, l'être humain vit de la nature. Depuis environ dix mille ans, il est fidèlement lié à la terre nourricière dont il apprivoise la fertilité pour ses propres besoins".

Pierre Rabhi, "L'agroécologie, une éthique de vie", Ed. Actes Sud, collection Domaine des Possibles, 2015.

***

Pour en savoir plus : 

- Sur l'association "Terre et Humanisme" > http://terre-humanisme.org/

- Sur le mouvement Colibris > http://www.colibris-lemouvement.org/

- Sur le Centre agroécologique "Les Amanins", né de la rencontre entre Pierre Rabhi et l'entrepreneur Michel Valentin, et installé sur 55 hectares dans la Drôme, à La Roche-Sur-Grâne > http://www.lesamanins.com/

- Sur l'association "CastelBio" de Châteauneuf-du-Rhône > http://castelbio26780.simplesite.com/428731254

- Sur Patrick Gardin, photographe > http://patrickgardin.com/

- Sur Radio M Montélimar et Nyons > http://radiom.fm/

 

Mille mercis à CastelBio et à sa présidente Babeth Mourzelas Carmignani pour avoir organisé ce moment privilégié avec Pierre Rabhi...

Et mille mercis également à Pierre Rabhi, pour sa gentillesse, sa disponibilité, et surtout pour ce qu'il fait et ce qu'il est...

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