7 Avril 2017
Deux fauteuils autour d'une table. Des coussins. Une chaise longue. Des tasses. Un chat, un piaf qui chante et un duo d'escargots. Ce soir-là, dans la maison des arts de Barbières, c'est parti pour ne rien faire. Et moi ça me va bien. Peut-être à cause de mes origines corses mais ce n'est pas le sujet. Le sujet ce soir-là, c'est de faire avec eux l'éloge de la paresse.
Eux, ce sont Jean-Pierre Alliot et Jean-Pierre Yvars. Avoir le même prénom, c'était déjà moins fatiguant. Ensemble, ils ont construit ce spectacle, intitulé "Et si on ne faisait rien". Tout un programme. Un vrai. Oserai-je dire : Enfin!
"Le monde a vraiment besoin d'artistes pour donner du sens à un monde insensé" disent-ils.
Ce spectacle est destiné à être joué chez l'habitant. C'est aussi ce qu'on appelle le théâtre d'appartement. Certains le définissent comme un théâtre de résistance artistique, politique, économique, à un époque où les petites compagnies de territoire ont bien du mal à s'en sortir, à continuer d'exister et à promouvoir leurs actions et leurs créations. Une autre façon de jouer, dans une proximité directe et presque intime avec un public restreint, facilitant ainsi des échanges toujours constructifs.
Alors si vous avez un salon, une cour, un jardin, quelques chaises et une furieuse envie de ne rien faire, si ce n'est de déguster des jolis textes, cette flânerie littéraire est faite pour vous. Même si au bout de quinze minutes, vous allez entendre : "Et là, on arrête le spectacle? On vous a déjà beaucoup donné!".
Du coup, moi aussi, j'ai décidé de ne pas en dire plus. Car moi-aussi ce soir, j'ai décidé de ne rien faire. Et surtout de laisser parler et d'écouter les artistes.
Car "Les artistes sont des gens indispensables" disent-ils. Et ils ont raison.
G.V.
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Jean-Pierre Alliot est comédien et metteur en scène, et l'un des créateurs de la Compagnie Agora, en résidence à la Maison des Arts de Barbières. Il est entre autres à l'origine d'une ballade théâtralisée dans le centre historique de Romans et de l'ouverture du "Stud", théâtre de poche situé à Valence.
Jean-Pierre Yvars est comédien et metteur en scène, faisant partie du Théâtre des Margandiers à Bourg-les-Valence. Il a longtemps participé entre autres aux Nocturnes de Grignan et a collaboré avec les studios Folimage, installés à Bourg-les-Valence, sur une vingtaine de films d'animations.
Ensemble, ils ont également animé une émission consacrée à la poésie intitulée "Le ciel est par dessus le Toi" sur Radio Méga 99.2, basée à Valence.
Deux Jean-Pierre sur scène... comment vos chemins se sont croisés ?
Jean-Pierre Alliot : « Nous nous sommes rencontrés il y a une dizaine d’années à l’occasion d’un projet de création d’un collectif d’artistes autour de la maison des arts à Barbières. Nous avons joué ensemble pour la première fois sur des lectures de textes en 2015. Nous avons trouvé que nous avions beaucoup d’affinités et que sur scène, nous arrivions à créer un climat de partenariat ensemble ».
Jean-Pierre Yvars : « Depuis longtemps je suivais de loin le travail de cet homme, Jean-Pierre Alliot avec intérêt. Et puis, quand il a commencé, il y a au moins une quinzaine d'années, à s'occuper de la Maison des Arts de Barbières, avec la Cie Agora, en développant toute une action culturelle dans ce village, je me suis tout naturellement rapproché de lui. »
Ensemble, vous nous invitez à ne rien faire… pouvez-vous, sans tout dévoiler, nous en dire plus sur votre spectacle ?
J-P.A. : « Tout est dans le titre ! Il s’agit d’une création commune que nous avons mis plusieurs mois à réaliser, à partir de textes de nombreux auteurs autour d’un fil conducteur qui est une éloge de la paresse. Ce spectacle est une espèce d’antidote à l’époque actuelle ! ».
J.-P.Y. : « C'est une flânerie poétique, autour du thème : L'éloge de la Paresse. A une époque où l'on entend parler de la nécessité de trouver un travail. Où l'on entend continuellement parler de rentabilité. De la nécessité de résoudre le plein emploi. Prendre le contre-pied de ces affirmations, m'a semblé salutaire, provocateur même. Et puis ne pas condamner « les paresseux » me paraît vital, tolérant et sain. »
Verlaine, Miller, Desproges, Becket, Devos… entre autres… comment avez-vous choisi les textes que vous interprétez ?
J.-P.A. : « De façon simple ! On s’est retrouvé un jour et on s’est dit : « Et si on ramenait chacun tous les textes pour lesquels on avait eu des coups de cœur ? ». Quelque soit le thème ou l’auteur. Nous avions quasiment une valise chacun ! Chacun a commencé par lire ses textes à l’autre, puis on s’est attaché à garder ceux autour de la patience, de la tranquillité, de la paresse, de la tendresse. Certains nous ont paru avoir des interactions et à partir de là, nous avons fait un montage ».
J.-P.Y. : « On s'est réuni avec l'autre Jean-Pierre, dans un local, en apportant comme on le fait de champignons, notre cueillette hebdomadaire de textes. Cela dura 3 heures en moyenne, pendant 6 mois! ».
Ce spectacle a été conçu pour être présenté « en appartement », c’est à dire chez le particulier en petit comité. Pourquoi avoir choisi cette forme-là ?
J.-P.A. : « Pour deux raisons. La première économique car monter un spectacle en mode traditionnel demande un travail considérable et n’est pas toujours couronné de succès. Ensuite, l’idée d’aller chez l’habitant en toute tranquillité et simplicité, presque au coin du feu ou du soleil, nous plaisait beaucoup. En utilisant l’espace et les matériaux dont on dispose sur place, ce qui nous oblige à nous adapter. Cela aussi est source d’imagination pour nous. On redécouvre à travers cette formule l’une des valeurs essentielles du théâtre, qui est de partager ».
J.-P.Y. : « J'ai voulu à mon tour expérimenter le théâtre chez l’habitant. En outre, cela correspondait à ma démarche : comme Mandrin, intervenir partout, où on ne vous attend pas. Et puis, cela oblige l'acteur à s'adapter, à se bousculer, à entrevoir des scénographies multiples, et à goûter à la nécessité de l'improvisation, se rendre obligatoirement disponible ».
Si chacun d’entre vous ne devait garder qu’une citation des textes du spectacle, quelle serait-elle ?
J.-P.A. : « Ce serait cette citation de Jules Renard : « Il y a dans la paresse un état d’inquiétude qui n’est pas vulgaire et auquel l’esprit doit peut-être ses plus fines trouvailles ». Elle me plait particulièrement car on se sent coupable dans la paresse et ce texte réhabilite la paresse et lui prête même des vertus précieuses pour l’esprit ».
J.-P.Y. : « Une des phrases qui m'accompagne dans ce spectacle, issu du texte Clown de Henri Michaud : « Ramené au dessus de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée « ambition » m'avait fait déserté ». »
Je vous en propose une autre, de Pierre Rabhi : " L'être humain a véritablement besoin de vie et de temps pour ne rien faire. Nous sommes dans une pathologie du travail, où toute personne qui ne fait rien est forcément un fainéant. " Qu’en pensez-vous ?
J.-P.A. : « Sa réflexion est plus que pertinente. D’autant plus dans la société contemporaine qui cherche par tous les moyens à gagner toujours plus de temps, à faire de nous des malades du temps. Alors que se consacrer à la rêverie, à la douceur, à ne rien faire, est totalement indispensable à la santé des humains, surtout par les temps qui courent. Pierre Rabhi parle de sobriété heureuse, il faudrait presque parler de paresse heureuse ! Cette citation me paraît lumineusement contemporaine ! ».
J.-P.Y. : « Pour nous artistes, la nécessité de prendre le temps, de regarder « le monde », de butiner, est primordiale et d'en restituer comme les abeilles, dans les ruches que devraient être les théâtres, le miel au public ».
Ce blog se nomme « Du côté de ma Drôme », vous habitez tous les deux la Drôme, comment définiriez le département ?
J.-P.A. : « Je suis né en Champagne, j’ai pas mal bougé ensuite et je me suis retrouvé à Romans. La Drôme est pour moi un pays d’enchantement, dont la variété climatique, agricole, touristique, industrielle est extrêmement riche. Du nord au sud, il y a des paysages, des couleurs, des gens différents. »
J.-P.Y. : « La Drôme, le nom de cette rivière donnée au département. C'est ce fleuve qui arpente la Drôme, elle-même s'arpente. La Drôme… comment dire ! Est à l'image de la France, verdoyante, fraiche, faite de Drômois, dromadaires, de Drômois, drôles et hebdomadaires, de paysages sages, de verdure dure, de lavandes pas à vendre... de...simplicité, de....c'est beau ! ».
Du côté de votre Drôme, quel est le lieu, la ville, la spécialité, qui a votre préférence ?
J.-.P.A. : « J’adore les ravioles ! Et il y a aussi un lieu où je resterai assis là, juste pour être dedans, c’est le col de la Machine. En cheminant en direction du col de Tourniol, on arrive au Col de la Machine, où il y a un paysage de conte fabuleux. Il y a dans ce lieu un espèce d’enchantement. C’est un des endroits qui m’a le plus impressionné dans la Drôme ».
J.-P.Y. : « Le village de Saoû, avec son camping de la Graville. Et comme spécialités la pogne et les ravioles, la caillette et les vins ! Crozes Hermitage et Saint-Joseph! ».
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Pour en savoir plus :
- Sur la Compagnie Agora > http://www.compagnie-agora.fr/compagnie-agora.html
- Sur le Théâtre des Margandiers > http://www.mandrin.org/theatre-des-margandiers.html
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